Le documentaire est souvent perçu comme l’antithèse de la fiction. Là où cette dernière invite à l’évasion, le documentaire semble nous ancrer dans la réalité, explorant des faits, des événements, ou des témoignages avec une rigueur presque journalistique. Pourtant, à y regarder de plus près, le documentaire est aussi un conte à part entière, une fenêtre ouverte sur le monde, mais racontée à travers une lentille subjective, parfois poétique, parfois brute.
Le documentaire, un conte de la réalité
Quand on pense au mot conte, des images d’histoires enchantées, peuplées de rois, de dragons et de mondes imaginaires, nous viennent en tête. Mais un conte n’est-il pas avant tout une manière de raconter une histoire, de transmettre une émotion, une morale, ou un point de vue ? C’est là que le documentaire rejoint le conteur.
La quête du réalisateur : un héros moderne
Comme dans un conte, le réalisateur d’un documentaire part en quête. Sa mission ? Révéler une vérité cachée, mettre en lumière un pan inconnu de la société, ou encore capturer une beauté fugace dans la nature. Cette quête est souvent semée d’embûches, que ce soit en raison de contraintes techniques, financières, ou de l’accès aux sujets abordés. Le documentaire Cameraperson (2016) de Kirsten Johnson, par exemple, est un hommage à la difficulté, mais aussi à la magie de filmer des moments authentiques, et montre que chaque tournage est une aventure imprévisible.
Comme le héros d’un conte, le réalisateur affronte des défis pour atteindre son but : raconter le réel avec la plus grande justesse, sans pour autant effacer son propre regard.
Les personnages : entre réalité et légende
Dans un documentaire, les personnages sont bien réels. Pourtant, ils sont souvent plus grands que nature. Pensons à des films comme Jiro Dreams of Sushi (2011), où Jiro Ono, un maître sushi octogénaire, semble presque légendaire dans sa quête incessante de perfection. Il devient un héros de conte moderne, représentant des valeurs comme la persévérance, le respect de la tradition et la passion pour son art.
Chaque documentaire propose ses héros, des anonymes ou des célébrités, des activistes ou des artisans, qui, par leur simple présence et leur histoire, captivent le spectateur. Ces protagonistes sont parfois plus fascinants que ceux de la fiction, car leur histoire est vraie, ou du moins filtrée par la réalité du documentaire.
Les paysages et les ambiances : le décor enchanté du réel
Les documentaires sont souvent des fenêtres sur des mondes méconnus. Le film Baraka (1992), par exemple, est une véritable ode visuelle, où chaque plan est pensé comme une œuvre d’art. Les paysages, qu’ils soient naturels ou urbains, deviennent presque mystiques, nous transportant dans un autre espace-temps, comme si nous entrions dans un monde magique.
Dans certains documentaires sur la nature, tels que La Planète Bleue (2001), les animaux, les océans et les forêts sont filmés avec un tel soin que la réalité semble dépasser la fiction. Chaque scène devient une peinture mouvante, chaque image une allégorie de la fragilité de notre planète.
L’art de capturer l’imaginaire dans le réel
Le documentaire ne se contente pas de retranscrire la réalité brute, il l’interprète, la modèle. À l’instar du conteur qui choisit les détails qui sublimeront son récit, le réalisateur documentaire fait des choix artistiques : l’angle de la caméra, la lumière, la musique, et surtout, le montage.
Le montage : la magie du récit documentaire
Le montage est au documentaire ce que la plume est au conteur. C’est lui qui décide de l’ordre des séquences, qui guide le regard du spectateur et donne du sens à l’histoire. Il s’agit d’un véritable travail d’orfèvre. Prenons l’exemple de Man on Wire (2008), qui raconte l’exploit de Philippe Petit, un funambule ayant traversé sur un fil les deux tours jumelles du World Trade Center. Le réalisateur, James Marsh, joue habilement avec le suspense, alternant interviews et images d’archives, pour créer une tension digne des plus grands thrillers. On se croirait dans un conte épique, suspendu entre ciel et terre.
La narration et la musique : des outils pour rêver
Comme dans un conte où la voix du narrateur nous berce et nous entraîne, la narration dans un documentaire peut également jouer un rôle clé. Certains réalisateurs choisissent de se faire discrets et de laisser les images parler d’elles-mêmes, tandis que d’autres optent pour une voix off omniprésente qui guide le spectateur. La musique, quant à elle, vient souvent amplifier l’émotion, créant une atmosphère tantôt sereine, tantôt dramatique.
Un documentaire comme The Salt of the Earth (2014), qui retrace la vie du photographe Sebastião Salgado, illustre parfaitement l’usage poétique de la narration et de la musique pour sublimer la beauté du monde et les luttes humaines.
Le documentaire, une invitation à la réflexion
À l’instar des contes qui souvent nous laissent avec une morale ou une leçon de vie, les documentaires nous poussent à réfléchir, à remettre en question notre vision du monde. Ils ne se contentent pas d’informer, ils incitent au débat, à l’introspection. Pensons à des films comme An Inconvenient Truth (2006), qui a bouleversé notre regard sur le réchauffement climatique, ou 13 th (2016), qui interroge le système carcéral américain et ses racines raciales.
Les contes, eux aussi, servaient autrefois à éduquer, à avertir ou à transmettre des valeurs morales. Le documentaire reprend cette mission, en utilisant des outils contemporains pour alerter, sensibiliser ou simplement émerveiller.
Conclusion : Le documentaire, un conte moderne
Si le documentaire m’était conté… il serait une version moderne de ces récits qui, autrefois, étaient transmis de génération en génération. Il s’adapte à notre époque, à ses enjeux et à ses sensibilités, tout en perpétuant une tradition narrative ancestrale. Chaque réalisateur devient un conteur des temps modernes, et chaque spectateur, un enfant émerveillé devant la richesse et la complexité du monde qui l’entoure.
Ainsi, le documentaire est bien plus qu’une simple captation du réel. Il est un art, un moyen d’interpréter le monde, de le sublimer et parfois même de le rêver. Comme un conte, il nous fait voyager, réfléchir, et surtout, ressentir. Parce qu’au fond, tout ce que l’on souhaite, que ce soit à travers un conte ou un documentaire, c’est être transporté dans une histoire qui nous touche et nous transforme.